Défi n° 172. Thème “ VOYAGE” proposé par Durgalola pour les Croqueurs de Mots.

Publié le par François & Marie

Une seule contrainte, commencer par

Partir, ça y était: instant magique.”

Partir, ça y était: instant magique.

Juillet 1952.

J'ai sept ans et demi.

Je suis habillée en dimanche et pourtant on est jeudi.

J'ai passé ma jolie robe bleue à volants et coiffé mon chapeau de paille, celui avec le bouquet de cerises.

C'est un jour très exceptionnel: je vais prendre le train pour la première fois !

Pour la première fois je vais voy-a-ger !

J'ai dépassé l'âge de raison, pourtant ma mémé a tenu à m'accompagner.

 

J'ai laissé faire parce que c'est elle qui a les tartines dans son grand cabas en toile cirée.

 

Et puis j'ai deviné qu'elle avait hâte d'étrenner sa robe de satinette noire. Elle devait aussi tester la résistance du fil élastique de son chapeau qu'elle a coincé sous son remarquable chignon blanc.

 

Je la trouve élégante ma mémé. Elle m'a promis de me donner sa capeline à pivoine le jour où je mettrai des souliers à échasses. (Psst ! faudra pas lui dire, mais des fois j'emplis d'eau mon dé à couture et je vais arroser, dans son armoire, la jolie fleur cousue sur son ruban).

C'est le matin du grand jour !

 

Avant de chausser mes belles sandalettes et mes socquettes blanches à revers, j'ai soulevé l'oreille toute douce de mon ami chien fidèle, m'en suis approchée de si près que ses poils m'ont fait des guillis, et lui ai chuchoté la grande nouvelle.

« Moumousse, j'vais te dire un secret, je pars à cent cinquante kilomètres... C'est très, très loin, presqu'autant que la lune, chez les cousins d'Oyonnax qui fabriquent des boutons en bakélite. Je te promets que si j'en trouve un en nonosse, je te le rapporte ! »

 

J'ai rabattu son oreille sur ma confidence. «  T'es content mon Mousse ? » Il l'est. Il a frétillé et m'a devancée en zig-zags fureteurs dans ma tournée d'au revoir à la ferme.

 

« Salut les meuhs, je pars en voyââge !» L'œil vague, les opulentes montbéliardes ont continué leur rumination... Pour les sortir de leur somnolence j'ai piaillé « Je pars en voy-ââ-geu ! » Elles n'ont pas bronché. Ma parole ! elles se moquent comme d'une guigne de ma grande aventure... Vexée, l'enthousiasme en berne, j'ai tourné les sabots en faisant remarquer à ces insensibles que les fréquenter plus longuement risquait de laisser, sur une mademoiselle qui va pratiquer la grand'ville, des relents de fumier fort malvenus et indignes de sa condition de grande voyageuse. Et vlan !

 

En bottant les fesses de tous les cailloux croisés en chemin, j'ai filé jusqu'aux clapiers.

« Eh les lapinous, vous avez devant vous une jeune fille qui va circuler en train ! Vous imaginez ! Il va démarrer de deux cents mètres d'altitude à Dole, pour grimper jusqu'à à neuf cent quarante huit mètres ! Incroyable, non ? »

Pfou, ils n'ont pas même fait semblant d'être épatés... Y'en a même un, agacé par mon enthousisme, qui a tapé de la patte (signe de grande irritation) et tous ont gloutonnement accéléré leur aiguisage d'incisives sur les pissenlits.

 

… Neuf cent quarante huit mètres n'ont pas estomaqué ces estomacs à pattes, j'aurais p'têtre dû tricher un peu et arrondir à neuf cent cinquante mètres, le col de la Savine ne m'en aurait pas voulu...

N'insistons pas, malgré leurs grandes oreilles ces bestioles sont sourdingues.

 

Les cochons font un tel raffût en piapiatant dans leur auge que je ne prends pas la peine de leur confier que mon excursion va durer au moins trois heures... bien fait ! ça va ternir leur journée, tant pis pour eux.

« Eh les filles ! je vais prendre “ la ligne des hirondelles ” * et exporter jusque dans l'Ain deux douzaines de vos bons œufs; mémé les a douilletement enveloppés dans les feuilles du “ Jura Agricole” pour ne pas les dépayser ! »

 

Victoire ! j'ai produit mon petit effet. Les poules ont apprécié que je vante leur production. Pétries de gratitude, elles ont sorti leur bec de la pâtée de maïs et m'ont fixée d'un œil rond; j'ai profité de ce public de bonne volonté pour ajouter « Et je vais passer sous trente six tunnels et sur dix huit viaducs ! » Euh... là, en revanche... j'ai fait chou blanc... le minéral en ouvrages d'art n'interesse pas ces gallinacées, elles ne l'estiment qu'en graviers pour améliorer la consistance de leurs coquilles... et puis je les dérangeais, elles avaient hâte de revenir à leur pitance, que Mousse leur carottait sans vergogne.

 

«  Oh là là Lisette, comme tu brilles ! Pépé t'a étrillée... tu vas nous faire honneur quand tu entreras la calèche dans la gare de la sous-préfecture. Y aura p'têtre une fanfare qui jouera “ l'hymne à la belle jument comtoise ”. Tu mérites bien une bonne grosse poignée d'avoine en rab, tiens ma belle, à tout à l'heure ! »

Et nous y voilà.

Pas de fanfare ? Tant pis !

C'est donc ça une gare ?

Que c'est beau. Que c'est grand !

 

Les portes voûtées pleines de carreaux, hautes comme un porche d'église, la verrière aussi grande que la mare aux canards, le bataillon de lanternes bien alignées (y doit en falloir des piles Wonder...), les six cheminées qui montent la garde autour de l'horloge aussi grosse que le soleil...

Soudain tout s'agite, on se croirait à la foire.

 

L'homme tranquille, en bel uniforme, qui tout à l'heure délivrait placidement à mémé deux vilains petits tickets bistres de troisième classe, se transforme en impressionnant Monsieur Le Chef De Gare: gestes secs, drapeau brandi, joues cramoisies, stridulations aiguës de son sifflet à roulette en laiton chromé.

 

En écho, explose le sifflement à vapeur de la grosse loco noire qui fulmine en brume blanche et pue le cambouis chaud.

 

Bouh, ça fait un peu peur... à la petite demoiselle. Elle apprécie vraiment la proximité des cotillons de sa mémé et serre très fort sa main.

Hé ! on peut être aventurière et sensible à la fois, non ?

…...........

 

Bien des décennies après cet initiatique voyage ferroviaire, me reste le souvenir des sièges à lattes de bois, rigides et rudement inconfortables; la chaleur de juillet était si intense que leur vernis avait fondu et définitivement gâché ma plus jolie robe du dimanche...

…...........

 

* “ Ligne des hirondelles ”: elle existe toujours, débute à Dole-du jura (sans accent ciconflexe, malheureux !) et se termine à St Claude. Les ouvriers qui travaillaient à la construction des viaducs paraissaient aux gens d'en bas, si petits et si hauts perchés qu'ils semblaient tutoyer le vol des hirondelles, d'où sa poétique appellation.

 

       

       

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      D
      c'est si beau à lire. Il y a une quinzaine d'années en revenant d'Honoré les Bains, nous avons voyagé dans un train ressemblant à celui que tu dessines. Merci beaucoup et bonne soirée.
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      Merci à vous Durgalola, pour ce défi qui a permis à Marie de raconter ce délicieux souvenir plein d'agréable nostalgie. Amitiés de nous deux.
      L
      Coucou vous deux<br /> Je suis partie ... dans votre blog avec enthousiasme, certaine d'y trouver une perle... et celle-ci est de taille ! suis trop émue pour la commenter avec des mots en rapport.... C'est tout simplement magnifique ! le croquis tout autant ! Waouuuh ! Marie, tu écris divinement bien ! <br /> Un grand bravo et bisous
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      Merci beaucoup pour ce commentaire élogieux, mais le dessinateur confirme : Marie, elle écrit divinement bien ! bonne journée Luciole , bisous de nous deux.
      H
      Bonjour à tous les deux, Merveilleux ces souvenirs d'enfance qui pour tous restent inoubliables. Un billet fort bien écrit, un grand plaisir de lecture. Bien amicalement. Henri.
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      Merci beaucoup pour votre visite, bonne journée à vous, amitié de nous deux.
      C
      Un superbe souvenir Marie et si bien raconté ici ! Une superbe illustration François, suivant le texte tout à fait exact de Marie ! Bravo à vous deux ! Bonne poursuite de ce mardi ! Amitiés♥
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      Les petits dessins de François suivent joyeusement les pas de Marie dans les chemins ensoleillés de ses souvenirs. merci pour votre amicale visite Colette.
      A
      Excellent.. Issime ! Un crû du haut Jura que j'apprécie à sa juste valeur, le maître croqueur a parachevé le récit ! Bravo au duo infernal ];-D<br /> <br /> Je suis un peu plus vieux que vous, je prenais le train gare de Lyon pour me rendre dans le sud, les banquettes de troisième classe étaient en moleskine verte, qui déteignaient par grande chaleur. Les locos des "Pacifics" motrices à vapeur "231" refilées par nos amis Ricains après la guerre, le fameux plan Marshall.<br /> Un monde... Une époque... Des parfums de nostalgie, surtout ceux de la fumée dans les tunnels.. La noble race des trains qui fument !
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      Merci pour le maître croqueur, mais tout le mérite en revient à Marie qui raconte avec beaucoup de sensibilité cette anecdote de premier voyage. Moi je me souviens bien que tout petit, mon papa m'emmenait voir les loco-monstres noirs crachant et fumant dans la gare de tri de Dole ( Jura) c'était dantesque !
      J
      c'était une grande aventure dont le cheptel n'avait que faire. Je n'ai pas connu la troisième classe. Quel dommage pour la jolie robe gâchée par un mauvais vernis. merci pour ce récit où l'on s'y croirait et bravo comme d'hab' à l'illustrateur.
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      A
      Avant chaque départ mon père m'emmenait voir la motrice ! Des roues de 2 mètres de diamètre, face à un petit bonhomme quel gigantisme !
      Les gares sont peuplées de mystères ,de départs, d'arrivées et de machines fantastiques ! bonne semaine Martine.
      Les histoires de Marie ont pleines de sensibilité et de joyeuse nostalgie, merci pour votre visite Jeanne.
      M
      Merveilleux souvenirs d'enfance de départ en vacances en train si bien racontés. Ils me parlent même si j'étais une petite parisienne mais nous partions en train avec ma mamie ou avec mes parents le plus souvent vers la mer et ce que je préférais c'etaient les voyages en train sur les banquettes en moleskine mais surtout les quais, les arrêts en gare. Beau mardi
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      Merci de partager vos propres souvenirs de départ en train... ça avait effectivement une saveur de merveilleux. bonne journée Martine.
      J
      Le train quelle aventure et le confort tres relatif de cette classe ! Une epoque ou on arrivait à l'heure pour le prixdu kilomètre quelque soit le moment ...<br /> Bonne journée et merci pour ces souvenirs qui ressortent je suis un brin nostalgique ce matin
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      Ah ! c'est tout un monde ces fameux chemins de fer, avec des monstres noirs fumants et sifflants et où les voyages prenaient des allures d'épopées comme le raconte si bien Marie. merci pour votre visite Josette.
      J
      Coucou Marie et François, ah ben oui une première à cet âge on voit cela comme extraordinaire, en train, ben finalement pas tant... pas tout confort comme maintenant, mais bon ça se raconte à la veillée hivernale... ;-) merci pour le tout, bon lundi Croqueurs, bises, JB
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      Pas de confort mais alors que de souvenirs et de rêveries ! j'en connais qui sont passionnés par les anciennes voies ferrées, les vieilles Michelines rouges jaunes et les petites gares de campagne : tout un monde ! Bonne semaine Jill Bill.